Pour te retrouver
Dans cette ville qui ne s’éveille jamais vraiment, où les rues serpentent comme des murmures et où le ciel pèse de rêves en charbon, je vis. Je suis sculpteur de silence. Je façonne des formes à partir de cendres et de souffle, hanté par un visage que je n’arrive jamais à saisir entièrement.
Chaque nuit, je retourne dans mon atelier — vaste, froid, peuplé de statues inachevées et de toiles tachées de nostalgie. Et chaque nuit, je la dessine. La femme aux yeux clos, aux cils comme des ailes, aux cheveux qui coulent comme de l’encre dans l’eau. Elle n’a pas de nom. Elle est juste là. Présente. Elle est mon fantasme — pas une simple fantaisie, mais un fantôme tissé de mémoire et de désir.
Un soir, alors que le brouillard dehors devenait presque vivant, j’ai allumé une bougie et repris mon fusain. Mais cette fois, le charbon s’est mis à bouger seul. Il a dansé sur le papier, traçant non seulement son visage, mais aussi le mien. Côté à côte, nous avons émergé de la fumée, les yeux fermés, comme si nous nous rêvions l’un l’autre.
L’atelier a tremblé. Les murs ont respiré. Le dessin a scintillé, et nos visages ont commencé à parler — non avec des mots, mais avec des émotions. Le regret. Le désir. La reconnaissance.
« Tu te souviens de moi », a-t-elle murmuré, sans que ses lèvres ne bougent.
« Je ne t’ai jamais oubliée », ai-je répondu, sans avoir prononcé un mot.
L’air s’est épaissi. Le temps s’est plié. Et du papier, elle est sortie — pas de chair, mais quelque chose de plus tendre. Une entité faite de souvenir et de brume. Elle a touché ma joue, et j’ai senti chaque moment que j’avais manqué. Chaque choix que je n’avais pas fait. Chaque version de moi-même que j’avais enterrée.
Nous avons dansé une fois, lentement, dans le silence. Puis elle a commencé à s’effacer, comme de la fumée prise dans la lumière.
« Est-ce que je te reverrai ? » ai-je demandé.
Elle a souri. « Seulement quand tu fermeras les yeux. »
Et juste comme ça, elle a disparu.
Je suis resté seul, la bougie vacillante. Mais la toile est restée — deux visages, côte à côte, les yeux clos, en train de rêver.
Pour te retrouver
Je t’ai cherchée dans les silences,
Là où le souffle hésite à parler,
Entre les ombres et les absences,
Dans les cendres de mes pensées.
Je t’ai dessinée dans la brume,
Avec des lignes tremblantes d’émoi,
Ton regard fermé, ta voix posthume,
Et ce frisson qui vient de moi.
Chaque nuit, je tends la main
Vers un visage que je devine,
Tu es là, juste au bord du matin,
Comme une étoile qui s’incline.
Je t’ai rêvée sans te nommer,
Mais ton nom danse sous ma peau,
Il murmure, il vient m’enflammer,
Comme un secret, comme un écho.
Pour te retrouver, je me perds,
Je m’efface dans le fusain,
Et si je ne suis plus que poussière,
C’est pour renaître dans ton chemin.
Pour te retrouver
Kaspin Jacques
Dans « Pour te retrouver », Kaspin Jacques nous livre une œuvre d’une intensité rare, où le trait devient souffle et la matière, mémoire. À travers un subtil mélange de fusain et de pastel, l’artiste fait émerger deux visages — un homme, une femme — comme deux âmes en suspension dans un nuage d’émotions. Leurs yeux clos ne sont pas un refus du monde, mais une plongée en soi, une quête intérieure, un dialogue silencieux entre le visible et l’invisible.
La composition, volontairement vaporeuse, évoque l’effacement, le souvenir, la trace. Les visages ne sont pas figés : ils semblent se dissoudre dans le fond, comme si le temps les emportait doucement. Pourtant, ils résistent. Ils s’appellent. Ils se cherchent. Le titre, « Pour te retrouver », agit comme une clef poétique : il suggère que cette œuvre est moins une représentation qu’un chemin — celui d’un amour perdu, d’une mémoire enfouie, ou d’une part de soi à reconquérir.
La palette monochrome, ponctuée de bleus discrets dans la chevelure féminine, renforce cette atmosphère de rêve et de mélancolie. Le bleu, ici, n’est pas froid : il est intime, presque charnel. Il murmure l’absence, mais aussi l’espoir.
Kaspin Jacques ne propose pas une image, mais une expérience. Il invite le spectateur à fermer les yeux, à respirer, à se souvenir. « Pour te retrouver » est une œuvre qui ne se regarde pas seulement : elle se ressent, elle se traverse. Elle nous rappelle que l’art, parfois, est le seul lieu où l’on peut vraiment retrouver ce (ou celui) qui nous manque.
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In this city that never truly wakes, where the streets curl like whispers and the sky hangs heavy with charcoal dreams, I live. I am a sculptor of silence. I shape figures from ash and breath, haunted by a face I can never fully recall.
Every night, I return to my studio — vast, cold, filled with unfinished statues and canvases stained with nostalgia. And every night, I draw her. The woman with closed eyes, lashes like wings, hair flowing like ink in water. She has no name. Only presence. She is my fantasme — not a fantasy, but a phantom stitched from memory and longing.
One evening, as the fog outside thickened into something almost sentient, I lit a candle and picked up my charcoal. But this time, it moved on its own. It danced across the paper, tracing not only her face, but mine. Side by side, we emerged from the smoke, eyes closed, as if dreaming each other into existence.
The studio trembled. The walls pulsed with breath. The drawing shimmered, and our faces began to speak — not with words, but with emotion. Regret. Desire. Recognition.
“You remember me,” she whispered, though her lips never moved.
“I never forgot,” I replied, though I hadn’t spoken aloud.
The air thickened. Time folded. And from the canvas, she stepped out — not flesh, but something softer. A being made of memory and mist. She touched my cheek, and I felt every moment I had missed. Every choice I hadn’t made. Every version of myself I had buried.
We danced once, slowly, in silence. Then she began to fade, like smoke caught in sunlight.
“Will I see you again?” I asked.
She smiled. “Only when you close your eyes.”
And just like that, she was gone.
I remained alone, the candle flickering. But the canvas stayed — two faces, side by side, eyes closed, dreaming.
To Find You Again
I searched for you in silence,
Where breath hesitates to speak,
Between shadows and absence,
In the ashes of my thoughts.
I drew you into the mist,
With trembling lines of longing,
Your closed eyes, your fading voice,
And the shiver born from me.
Each night
I reach my hand
Toward a face
I only sense,
You’re there, just beyond the dawn,
Like a star that leans and bends.
I dreamed you without a name,
Yet your name dances on my skin,
It whispers, it sets me aflame,
Like a secret held within.
To find you again,
I lose myself,
I vanish into charcoal dust,
And if I’m nothing but a breath,
It’s to be reborn in your trust.
To Find You Again
Kaspin Jacques
In To Find You Again, Kaspin Jacques offers a hauntingly intimate meditation on memory, absence, and emotional resonance. Through the ethereal interplay of charcoal and pastel, two faces emerge from a smoky, abstract background — one male, one female — suspended in a moment of shared silence. Their closed eyes suggest not blindness, but introspection; a turning inward toward a space where longing and remembrance converge.
The composition is deliberately elusive. The figures seem to dissolve into the atmosphere, as if time itself were eroding their contours. And yet, they remain — tethered to one another by invisible threads of emotion. The title acts as a poetic compass: this is not merely a portrait, but a journey. A search for someone lost, or perhaps for a part of oneself that only exists in the presence of the other.
Jacques’s restrained palette — monochromatic tones punctuated by subtle hints of blue — evokes a dreamscape where color becomes feeling. The blue, delicately woven into the woman’s hair, is not cold; it is tender, intimate, almost whispered. It speaks of distance, but also of hope.
To Find You Again is not an image to be observed passively. It is an experience to be entered. Jacques invites the viewer to close their eyes, to breathe, to remember. This work does not depict — it evokes. It does not explain — it lingers. In its quiet power, it reminds us that art can be a place where what is lost is never truly gone, but waiting to be found again.







